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Auteure : Sarah Cohen-Scali
Édition: Pôle-fiction (Gallimard) - 2015 - 478 p.
original: 2012
Couverture: Le Gall & Chassagnard
Historique, jeunesse, littérature française, littérature marocaine
Présentation: Max est le jeune parfait qui représente la race parfaite, né à la date anniversaire du Fürher
+ : point de vue
- : sans famille
Thèmes: Lebensborn, germanisation, seconde guerre mondiale
Parce que j'avais vu passer ce livre avec un commentaire disant que ça montrait le point de vue du côté de l'éducation que les jeunes Allemands recevaient, et que ça avait bien entendu titiller ma curiosité. Et qu'en mai, il y avait un défi de lire un titre sur une guerre mondiale, et que j'ai profité de l'occasion pour le lire.
Mon avis
Par où commencer? Même avant de commencer la lecture, je savais par le thème qu’il ferait sans doute partie des livres que je chroniquerais. Mais, même si je trouve le livre bien construit, je sens qu’il va être dur à chroniquer, car c’est un livre que je ne peux que vous recommander et vous inviter à découvrir.
Comme je ne crois divulgâcher personne sur ce qui se passe et la fin de cette guerre, aussi bien commencer avec des extraits qui montrent la fluidité du style, le climat qui régnait, certains faits dépourvus de sens pour nous, et qui font la force du récit.
Au bout de quelques instants qui me paraissent durer une éternité, il rompt enfin son immobilité et brandit sous mon nez la boîte en bois contenant les cendres de ses cigarettes.
— C’est comme ça qu’ils finissent.
— Comme ça, quoi? Qui finit? De quoi tu parles? Je comprends rien!
Je m’efforce de chuchoter mais j’ai l’impression de hurler, d’ameuter tout le dortoir.
— Les Juifs. C’est comme ça qu’ils finissent. Ils partent en fumée. Ils sont ensuite réduits en cendres.
— …
À mon tour de mesurer privé de l’usage de ma langue. La réponse de Lukas paraît dépourvue de sens, pourtant, il l’a formulée avec son assurance et son élocution habituelles.
— Saleté de bouquins pondus par la vermine juive!
— Bertolt Brecht, Sigmund Freud, Heinrich Mann, Karl Marx, Stefan Zweig! Que des noms bien allemands, bien de chez nous! Et pourtant!
— Le Fürher a raison, le parasite juif sait se dissimuler sous un voile!
Mais nous, nous n’avons pas d’endroit de repli. Potsdam est trop proche de Berlin. Difficile de démêler le vrai du faux. Difficile de savoir s’il faut avoir peur de mourir ou se réjouir de combattre. Ou avoir peur de combattre en se réjouissant de mourir.
On a l’impression que la lumière est sale. Qu’il n’y a plus de lumière du tout. Le Troisième Reich devait nous sortir des ténèbres. On dirait bien qu’au contraire il nous y a plongés.Aussi, ce livre est classé jeunesse, et vu la thématique, c’est un peu étrange comme sensation. Oui, le style d’écriture est facilement accessible pour les jeunes, les mots codés rendent encore plus facile la compréhension de ce qui se trame. Mais j’avoue que c’est une vision d’une adulte, et je ne crois pas qu’il faille mettre ce bouquin dans les mains des gamins, sans les accompagner dans la compréhension des faits historiques.
D’ailleurs, je parlais de faits dépourvus de sens, et le fait de se positionner du côté de Max, né à la date anniversaire du Fürher, et baptisé par ce dernier, donne encore plus de poids aux pensées de Max, à sa vision des choses, et montre à quel point les pensées de ce régime étaient puissantes. Et en plus, dans son récit, on voit son adoration de ce régime, même alors qu’il n’est que dans le ventre de sa mère, et s’organise pour naître à la date anniversaire du Fürher.
Un magnifique cadeau pour le Führer et la nation allemande. (Offert de gré ou de force, ce sera selon, parce que les Norvégiennes sont belles, certes, mais seront-elles assez intelligentes pour comprendre la nécessité de leur sacrifice?) Grands, blonds, dolichocéphales, les bébés norvégiens seront dotés de la panoplie complète des enfants du futur et auront probablement un faible pourcentage de «lapins».
Grâce à moi, on a pu sauver une dizaine d’enfants qui seraient repartis avec leur mère dans leur taudis, à crever la faim et à fuir les bombardements ou les fusillades des SS. Autant d’enfants qui ont trouvé une mère d’adoption. La mienne. L’Allemagne. Autant de futurs fauves qui grossiront les rangs de la jeunesse allemande toute-puissante. Autant de futurs frères pour moi.
Normal. Les grands ont du mal à accepter la germanisation. Trop de souvenirs. Trop précis, ces souvenirs. Ça leur embrouille la tête. La gymnastique ne suffit pas à les en débarrasser.Et pourtant, malgré des scènes qui nous font frémir comme dans ce passage
Elle n’a pas compris ce que le dessin représente: les coups de crayon noir, à l’horizontale, c’est elle. Morte. Et les gros points rouges tout autour, c’est son sang qui coule. Parce qu’elle s’est pris une balle dans la tête.on ne parvient pas à le détester puisque on voit comment ses valeurs lui sont inculquées, et qu’au fur et à mesure de l’histoire, on le voit se questionner.
—Est-ce que par hasard tu te serais trompé? Est-ce que tu nous aurait menti? Est-ce que tous tes beaux discours, ce n’était que du vent?
Je suis surpris de constater que... Polonais ou Allemand, Aryen ou pas, la différence n'est somme toute pas bien grande.Et j’ai beaucoup aimé le parallèle avec la potion magique qui transforme, devoir sur lequel réfléchit longuement Max.
Ça ne me dérange pas qu’on s’engueule, qu’on s’insulte. Je crois que c’est normal entre frères, on s’aime et en même temps on se déteste au point qu’on a parfois envie de se tuer. En revanche, ce que j’ai beaucoup de mal à supporter, c’est quand, au moment où je m’y attends le moins, de manière perverse, Lukas vient distiller en moi, une à une, des gouttes supplémentaires de sa «potion maléfique».Et pendant que je transcrivais les différents extraits, je n’ai pu qu’à la lecture du suivant, de me demander ce qu’il en aurait été de Max s’il avait été élevé par la population, dans une famille allemande, pour avoir ce point de vue. Mais on ne peut pas tout avoir, et on aurait perdu toute cette notion d’enfants du Lebensborn, programme trop peu connu si je ne m’abuse.
Peut-être que la famille de Lukas ne méritait pas ça? Peut-être qu’il aurait fallu faire une exception pour eux? Peut-être qu’il y a de bons Juifs? Comment savoir?… À ce stade de mon raisonnement, j’avoue que je suis perdu, alors que j’ai fait plusieurs pas supplémentaires vers la porte.Et l’auteure aurait pu ne cibler que les mauvaises idées des Allemands, mais comme à l’image de son personnage Max rempli d’ambivalence, elle n’omet pas non plus ce qu’ont subi les Allemands, faisant se questionner son personnage sur Peut-être après tout que «homme» et «monstre», c’est la même chose?
Je crois que le vrai problème, que ce soit pour Lukas ou les autres enfants, polonais ou pas, juifs ou pas, c’est ce fichu lien qui les attache à leurs parents. Ils s’en sortiraient beaucoup mieux si, comme moi, ils n’avaient pas de famille.
Bref, c’est un livre coup de poing duquel on ne peut pas sortir indemne et dont on vit d’ambivalence face à ce qui se passe. Il y a des passages dont je me disais que vu l’âge de Max, c’était impossible qu’il ait de telles pensées, mais j’essayais de me mettre de son côté pour comprendre, et c’est là que je voyais toute la puissance de ce qui lui était inculqué. Et c’est un livre qui jette un éclairage sur la situation d’un point de vue qui, si je ne m’abuse, nous ne voyons pas souvent. Et c’est surtout ce côté qui m’a plu de vouloir comprendre, avec en parallèle un style fluide, une construction efficace. Bien entendu, les extraits me semblent pâlots hors récit, mais cela forme un tout dont on ne sort pas indemne. Je ne vous dis ni si Lukas (dont j'ai appris après lecture qu'il était inspiré par une réelle personne) a réussi à distiller sa potion au complet, ni quel sort est réservé à Max, car je vous laisse découvrir ce titre par vous-même.
Quelques citations
Plus je grandis, plus je me rends compte à quel point les adultes sont bizarres, bourrés de contradictions. Les Braune Shwester ont suivi des stages chez les «physionomistes» pour être capables, en un seul coup d’œil, de savoir si un individu peut prétendre appartenir à la race nordique ou pas. Elles n’ont jamais eu l’idée de se planter devant un miroir? De demander d’elles-mêmes leur «réinstallation»?
J’ai compris que le sacrifice de mes petits camarades était nécessaire pour que la médecine du Reich soit la plus performante du monde. […]Car une fois la guerre entamée, beaucoup de nos hommes, hélas, seront blessés. J’ai compris que nous formons une chaîne où chaque maillon, même le plus petit, a son importance. Les plus faibles meurent pour que les plus forts deviennent invulnérables.
Qu’est-ce qu’on en a à faire? Comme si un contrôleur était plus dangereux qu’un obus, une amende, plus mortelle qu’une bombe.
Tout le monde finit par se résigner.Parce que je participe à quelques challenges
C’est drôle comme on s’habitue à tout. Avant l’arrivée des Russes, on tremblait. On se les figurait comme des montres. Or, ce sont justes des hommes. (Peut-être après tout que «homme» et «monstre», c’est la même chose?)