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Auteur : Gaétan Soucy
Édition: Boréal Compact, 2000, 180 p.
original: 1998
Couverture: Sans titre de Catherine Farris
Drame, littérature québécoise
Présentation: Le secrétarien commence à vivre sans les ordres de son père.
+ : style
- : court
Thèmes: mort, secrets de famille, isolement
Parce que le challenge Un mot, des titres avait le mot petit et que j'ai profité de l'occasion pour relire ce titre. (Et étrangement, comme je reviens dans ce challenge, j'ai un billet préfait pour ma mise en forme et, lorsque je l'ai peaufiné la dernière fois, c'était avec mon billet sur Les petites victoires. Je ne peux que signaler ce fait puisque je peux aussi vous inviter à découvrir ces petites victoires.)
Mon avis
Bien que ce soit une relecture, je me souvenais du caractère ovniesque de ce livre, sans me rappeler de l'élément donnant le titre au récit, étrangement. Ce fut donc comme si je découvrais ce livre pour la première fois, ou presque, puisque bien entendu, un élément m'avait marquée: on dirait que j'avais focussé là-dessus et que j'essayais d'y trouver les indices ratés la première fois. Or, j'ai l'impression que ces éléments, j'avais bien pu les voir la première fois, mais je ne vous dirai pas de quoi il s'agit pour que vous puissiez vous faire votre propre idée s'il vous vient l'envie de lire ce titre qui est à n'en pas douter à découvrir.
J'ignore si c'est parce que je me rappelais du côté ovniesque du titre que j'ai eu l'impression que ce l'était beaucoup moins, mais que j'ai plutôt trouvé que j'étais confrontée à un récit très bien mené. Certes déroutant, mais des indices sont semés ici et là, et on croit aisément à ce qui se passe, bien qu'on aimerait que ces réalités n'existent pas. Par contre, le ton donné peut sembler ovniesque, mais cela n'empêche pas d'avoir des phrases maîtrisées comme le montre le passage suivant qui, à mon avis, représente bien le ton du récit:
Mais bon, j’étais là devant la dépouille à papa et à me ramentevoir tout ça, inutilement bien sûr, car la mémoire voulez-vous bien me dire à quoi ça sert. Je m’efforçai de mettre ces choses-là dans un coin pour ne plus y penser, et de réfléchir à la place, par réforme de l’entendement, selon l’éthique. Je rassemblais mes idées pour faire le point sur l’état présent de l’univers, à mon frère et à moi. Père était devenu ni plus ni moins une chose, puisqu’il n’y avait plus personne dedans, et je sentais que même cette chose avec rien dedans ne nous appartenait plus. Des hordes nous adviendraient du village, ignorant tout de nos mœurs, ne respectant rien, comprenant encore moins, le groin écumant, agitées et stupides comme des mouches, et nous dépossédant de tout, de notre domaine, de mes dictionnaires, du Juste Châtiment aussi, vraisemblablement, et par conséquent de l’usage de la parole, et de la dépouille même de papa qu’ils enterreraient où bon leur semble, dans la crotte et dans la boue.Puisque c'est le récit de nouveaux orphelins, l'auteur ne pouvait que nous montrer également certaines réflexions sur la mort créant une lucidité dans la voix de la narration naïve.
Je m’étonne toujours de constater qu’une fois la première rafale passée, je suis capable d’une telle indifférence à ce qui peut m’arriver de terrible ici-bas, c’est dans mon caractère, comme. […] Le malheur arrive toujours à n’importe qui, que voulez-vous, c’est une loi de l’univers.
Ah j’aurais voulu ne pas céder au sommeil et en finir avec mon testament avant qu’il ne soit catastrophe. Mais j’étais abandonnée par mes forces, elles s’étaient sauvées comme un crayon. Quoiqu’on en fasse et quoi qu’il en soit, et aussi loin qu’on aille, il faut s’étendre au bout du compte pour dormir, c’est fatal. On a la laisse au cou, la fatigue qui vous retient à la terre finalement vous y tire, et l’on tombe, toujours, que voulez-vous. C’est l’élastique de la mort.Et à travers toute cette cruauté de la vie, il y a aussi les mots, leur pouvoir, leur genre. Et Gaétan Soucy leur rend bien hommage avec une maîtrise de la ponctuation pour rythmer le récit. Puisqu'il les a bien rangés en phrases, on reçoit un véritable choc à leur contact, tout comme on en reçoit à la découverte de ce récit.
Aussi, lorsque je regardais mes pages cornées (désolée ceux qui n'aiment pas ça!), je n'ai pu que me remémorer que mon édition parlait du débat de l'indépendance grâce à la citation suivante qui mêle également le besoin d'écrire et la sensation d'être dépouillé par la vie.
J’avais définitivement compris que nos rêves ne descendent sur terre que le temps de nous faire un pied de nez, en nous laissant une saveur sur la langue, quelque chose comme de la confiture de caillots, et j’ai repris le grimoire, comme ça, au beau milieu du champ, et mon crayon a poursuivi comme un seul homme, car un secrétarien, un vrai, ne recule jamais devant le devoir de donner un nom aux choses, qui est son office, et je me trouvais assez désarmée par la vie pour ne pas désirer me dépouiller davantage, à l’instar des franciscains et des mules aux yeux doux, et aller jusqu’à me démunir de mes poupées de cendre, je veux dire les mots, tant il est vrai que nous sommes pauvres de tout ce qu’on ne sait pas nommer, comme dirait le Juste Châtiment, si elle savait parler.
Bref, c'est dur d'écrire une chronique ici sans vous divulgâcher pour vous montrer toute la portée de ce récit. Le style et la construction du récit sont au rendez-vous, et je ne peux que vous inviter à découvrir ce titre, car c’est horrible comme c’était beau.
Quelques citations
Mais rien de cela n’est la faute à l’impossible. Elle apprendrait à lire avec moi. Dans les dictionnaires que nous irons chercher dans ce qui restera demain de la bibliothèque incendiée, où quelques-uns, j’ose le croire, auront été épargnés, ç’a la vie dure les dictionnaires, mine de rien, ils ont le calme entêtement du bois dont ils sont issus, les arbres ne pouvaient pas nous faire de cadeaux plus beaux. Et nous lirons, nous lirons! Jusqu'à tomber par terre d'ivresse, car après tout qu'importe qu'elles nous mentent, ces histoires, si elles ruissellent de clarté, et qu'elles étoilent le chapeau des enfants déboulés de la lune étendus côte à côte deux par deux, elle et moi?
Parfois la voix de papa s’élevait par-dessus la mélodie, la chevauchait quelques instants, la tourmentait juste ce qu’il faut, et je ne peux pas vous dire, c’est horrible comme c’était beau.
Je vais vous dire, si j’avais pu prévoir que, avant la fin du jour, je me retrouverais en tête à tête avec l’inspecteur des mines, je crois à tout prendre que j’aurais préféré aller me pendre à la corde de papa, car je craignais un peu les envies de mon cœur, c’est le moins qu’on puisse dire, et selon ce que nous dictent la nature et la religion, c’est de mon frère bien évidemment qu’il convient que je sois amoureux, pas d’un autre.
Car que faire d’autre qu’écrire pour rien dans cette vie? D’accord, d’accord, j’ai dit «les mots: des poupées de cendre», mais c’est trompeur aussi , puisque certains, quand ils sont bien rangés en phrases, on reçoit un véritable choc à leur contact, comme si on posait la paume sur un nuage au moment juste où il est gonflé de tonnerre et va se lâcher. Il n’y a que cela qui m’aide, moi. À chacun ses expédients.
Parce que je participe à quelques challenges
Un mot, des titres