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lundi 10 août 2020

petit bout d’humanité abandonnée qui ne manquait pas d’audace

Cliquez sur l'image pour vous le procurer
Anne, tome 1: La Maison aux pignons verts 
Auteur : Lucy Maud Montgomery 
Édition: Québec Amérique - 1994 -  374p. - traduction de Henri-Dominique Paratte 
Original: Anne of Green Gables L.C. Page & Company Inc, 1908 
Couverture: illustration de Michel Tiffet 
Jeunesse, classique
Littérature canadienne

Présentation: Les Cuthbert veulent adopter un garçon pour les aider à la ferme. Or, ils se retrouvent face à la maigrichonne, rousse, pétillante Anne.
+ : fraîcheur
- :  
Thèmes: adoption, jeunesse, imagination, apparence




Pourquoi ce livre

Parce que Julie a lancé une LC sur ce titre de ma jeunesse dont je ne cessais de repousser ma relecture à cause d'appréhensions face au magnifique souvenir que j'en avais.

Mon avis
Eh bien! Mes appréhensions étaient-elles justifiées? Était-ce trop jeunesse? Aucunement, car j'ai grandement apprécié cette relecture. 

J'avais peur que le style soit trop niais, trop un étalage de jolis mots pour rendre des descriptions. Bien sûr, il reste des jolis mots pour nous transmettre la beauté, mais ceux-ci rendent justice à l'imagination, à la magie, sans en faire trop. Lucy Maud Montgomery semble avoir suivi le conseil que son personnage de Mlle Stacy donne, et cela rend une prose d'émerveillement fluide: 
C’est plus agréable de penser à de jolies choses qui vous sont chères et de les garder pour soi, comme des trésors. Je n’aimerais pas qu’on s’en moque ou que d’autres essaient de les interpréter. Et je n’ai plus envie d’utiliser de grands mots. C’est presque dommage, d’ailleurs: me voilà maintenant assez grande pour m’en servir correctement si je le désire. À certains égards, Marilla, c’est bien agréable d’être presque une grande personne, mais ce n’est pas tout à fait ce à quoi je m’attendais. Il y a tellement de choses à inventer, à découvrir, à méditer, qu’on n’a plus le temps d’utiliser de grands mots. De plus, Mlle Stacy affirme que les mots courts sont meilleurs et plus expressifs. Elle veut que nous écrivions nos dissertations le plus simplement possible. C’était difficile, la première fois. J’avais tellement l’habitude de faire étalage de tous les beaux grands mots qui me traversaient l’esprit, et ils étaient nombreux, je peux te dire! Mais je m’y suis habituée, à présent, et je me rends compte que ça donne de meilleurs résultats. 
Bien entendu, je n'ai pas eu la surprise de découvrir l'histoire, mais j'ai pris grand plaisir à retrouver ce petit bout d’humanité abandonnée qui ne manquait pas d’audace, qui se mettait les pieds dans les plats sans le vouloir, car au fond, elle est quelqu'un de bien, avec une imagination débordante, et qui nous fait vivre plus,  pour reprendre son expression, d’«une journée mémorable». Je comprends pourquoi Anne m'avait séduite jeune, et qu'elle le refait plus de 20 ans plus tard: elle est attachante, ambitieuse, amoureuse de la vie, ce qui nous donne une lecture remplie de fraîcheur, qui peut autant toucher les jeunes que les adultes. Bref, Anne aimerait être remarquable, et je dois dire que Lucy Maud Montgomery a réussi à lui rendre son souhait. 

De plus, j'avais peur que le contexte soit trop daté et que ça permette moins de s'ancrer dans l'histoire. Malgré tout, même si on voit des écoles de rang dans le récit, le fait que la principale trame soit sur les défis d'intégration d'Anne suite aux préjugés de son adoption permet de se plonger dans l'histoire. Le tout mêlée sur ses préoccupations face à son apparence, ses amitiés, son imagination.  

Bref, j'avais peur de scrapper mon souvenir de cette lecture qui m'avait fait adoré la lecture, et ce n'en fut aucunement le cas. J'ai encore grandement aimé! Faites vous-en  votre propre idée si vous le souhaitez, car  chose certaine, il n’est pas possible de s’ennuyer en sa compagnie.

Quelques citations
Il est si facile d’être méchant sans le savoir, n’est-ce pas?
Qu’il est bon d’avoir des buts dans l’existence! Je suis contente d’en avoir autant. Et l’ambition a cet avantage de vous pousser toujours plus loin, de vous forcer à faire toujours mieux; dès qu’on atteint un de ses objectifs, en voilà u autre qui surgit, encore plus lumineux, encore plus attirant, et c’est le désir de l’atteindre qui donne tant de piquant à la vie! 

Il lui sembla même que ces pensées critiques intimes qu’elle n’avait jamais exprimées venaient de prendre une forme concrète et accusatrice, en la personne de ce petit bout d’humanité abandonnée qui ne manquait pas d’audace.

«Je suis prête à admettre mon erreur» fit-elle ingénument, «mais j’ai appris une leçon. Je ne peux que rire en pensant aux ‘‘aveux’’ d’Anne, mais je ne devrais pas, puisqu’il s’agissait de mensonges. [...]Cette enfant n’est pas facile à comprendre, je dois avouer, mais je suis persuadée qu’elle deviendra quelqu’un de bien. Et, en tout cas, chose certaine, il n’est pas possible de s’ennuyer en sa compagnie. »
Il est difficile de choisir, tellement de personnes remarquables ont déjà vécu! Est-ce que ce n’est pas extraordinaire d’être remarquable, de savoir que l’on parlera de vous quand vous serez mort? Oh, j’aimerais passionnément être remarquable!  
Les créatures en chair et en os ne fonctionnent pourtant pas comme des règles d’arithmétique 

Oh, mais je ne pensais pas seulement à l’arbre; bien sûr qu’il est beau — oui, il est même d’une beauté radieuse, il fleurit parce qu’il le veut bien — mais je parlais de tout, du jardin, du verger, du ruisseau et des bois, de tout ce monde, si vaste, si beau. Est-ce que vous n’êtes pas en amour avec le monde, un matin comme celui-ci? Et le ruisseau rit si fort que je peux l’entendre d’ici. Avez-vous jamais remarqué à quel point les ruisseaux sont joyeux? Ils rient tout le temps. Même en hiver, je les ai entendus sous la glace. Je suis si heureuse qu’il y ait un ruisseau près de Green Gables. Vous pensez peut-être que cela ne fait aucune différence pour moi, puisque vous n’allez pas me garder, mais cela en fait une. J’aurai toujours du plaisir à me rappeler qu’il y avait un ruisseau près de Green Gables même si je n’y reviens jamais. S’il n’y avait pas de ruisseau, je resterais comme hantée par la sensation déchirante qu’il aurait dû y en avoir un. Je ne suis pas plongée dans les abîmes du désespoir, ce matin, je ne le suis jamais le matin. N’est-ce pas une chose magnifique qu’il y ait des matins? Mais je me sens très triste. Je venais juste d’imaginer que finalement c’était moi que vous aviez choisie et que je pouvais rester ici pour toujours. Cette pensée m’a fait du bien le temps qu’elle a duré. Mais le pire, lorsqu’on imagine des choses, c’est qu’il arrive un temps où l’on doit s’arrêter, et ça fait mal.  

Je n’avais jamais pensé que mes compositions recelaient autant de défauts jusqu’à ce que je les découvre moi-même. J’ai alors eu tellement honte que je voulais abandonner, mais Mlle Stacy m’a dit que, pour apprendre à bien écrire, il fallait d’abord apprendre à devenir critique envers soi-même.  
Pour Anne, c’était un honneur indescriptible d’avoir été choisie, et elle ne tenait déjà plus en place: il s’agissait, une fois encore, pour reprendre son expression, d’«une journée mémorable».

 Parce que je participe à quelques challenges


Adaptations
 

Et même si c'est Canadien, puisqu'il risque d'y avoir une journée Canada, je profite du billet pour vous dire que Karine:) a mentionné que ceci allait revenir: 




samedi 15 février 2020

c’est horrible comme c’était beau

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La petite fille qui aimait trop les allumettes
Auteur : Gaétan Soucy
Édition: Boréal Compact, 2000, 180 p.
original: 1998
Couverture: Sans titre de Catherine Farris
Drame, littérature québécoise

Présentation: Le secrétarien commence à vivre sans les ordres de son père.
+ : style
- : court
Thèmes: mort, secrets de famille, isolement



Pourquoi ce livre
Parce que le challenge Un mot, des titres avait le mot petit et que j'ai profité de l'occasion pour relire ce titre. (Et étrangement, comme je reviens dans ce challenge, j'ai un billet préfait pour ma mise en forme et, lorsque je l'ai peaufiné la dernière fois, c'était avec mon billet sur Les petites victoires. Je ne peux que signaler ce fait puisque je peux aussi vous inviter à découvrir ces petites victoires.)

Mon avis
Bien que ce soit une relecture, je me souvenais du caractère ovniesque de ce livre, sans me rappeler de l'élément donnant le titre au récit, étrangement. Ce fut donc comme si je découvrais ce livre pour la première fois, ou presque, puisque bien entendu, un élément m'avait marquée: on dirait que j'avais focussé là-dessus et que j'essayais d'y trouver les indices ratés la première fois. Or, j'ai l'impression que ces éléments, j'avais bien pu les voir la première fois, mais je ne vous dirai pas de quoi il s'agit pour que vous puissiez vous faire votre propre idée s'il vous vient l'envie de lire ce titre qui est à n'en pas douter à découvrir.

J'ignore si c'est parce que je me rappelais du côté ovniesque du titre que j'ai eu l'impression que ce l'était beaucoup moins, mais que j'ai plutôt trouvé que j'étais confrontée à un récit très bien mené. Certes déroutant, mais des indices sont semés ici et là, et on croit aisément à ce qui se passe, bien qu'on aimerait que ces réalités n'existent pas. Par contre, le ton donné peut sembler ovniesque, mais cela n'empêche pas d'avoir des phrases maîtrisées comme le montre le passage suivant qui, à mon avis, représente bien le ton du récit:
Mais bon, j’étais là devant la dépouille à papa et à me ramentevoir tout ça, inutilement bien sûr, car la mémoire voulez-vous bien me dire à quoi ça sert. Je m’efforçai de mettre ces choses-là dans un coin pour ne plus y penser, et de réfléchir à la place, par réforme de l’entendement, selon l’éthique. Je rassemblais mes idées pour faire le point sur l’état présent de l’univers, à mon frère et à moi. Père était devenu ni plus ni moins une chose, puisqu’il n’y avait plus personne dedans, et je sentais que même cette chose avec rien dedans ne nous appartenait plus. Des hordes nous adviendraient du village, ignorant tout de nos mœurs, ne respectant rien, comprenant encore moins, le groin écumant, agitées et stupides comme des mouches, et nous dépossédant de tout, de notre domaine, de mes dictionnaires, du Juste Châtiment aussi, vraisemblablement, et par conséquent de l’usage de la parole, et de la dépouille même de papa qu’ils enterreraient où bon leur semble, dans la crotte et dans la boue.
Puisque c'est le récit de nouveaux orphelins, l'auteur ne pouvait que nous montrer également certaines réflexions sur la mort créant une lucidité dans la voix de la narration naïve.
Je m’étonne toujours de constater qu’une fois la première rafale passée, je suis capable d’une telle indifférence à ce qui peut m’arriver de terrible ici-bas, c’est dans mon caractère, comme. […] Le malheur arrive toujours à n’importe qui, que voulez-vous, c’est une loi de l’univers.
Ah j’aurais voulu ne pas céder au sommeil et en finir avec mon testament avant qu’il ne soit catastrophe. Mais j’étais abandonnée par mes forces, elles s’étaient sauvées comme un crayon. Quoiqu’on en fasse et quoi qu’il en soit, et aussi loin qu’on aille, il faut s’étendre au bout du compte pour dormir, c’est fatal. On a la laisse au cou, la fatigue qui vous retient à la terre finalement vous y tire, et l’on tombe, toujours, que voulez-vous. C’est l’élastique de la mort.
Et à travers toute cette cruauté de la vie, il y a aussi les mots, leur pouvoir, leur genre. Et Gaétan Soucy leur rend bien hommage avec une maîtrise de la ponctuation pour rythmer le récit. Puisqu'il les a bien rangés en phrases, on reçoit un véritable choc à leur contact, tout comme on en reçoit à la découverte de ce récit.

Aussi, lorsque je regardais mes pages cornées (désolée ceux qui n'aiment pas ça!), je n'ai pu que me remémorer que mon édition parlait du débat de l'indépendance grâce à la citation suivante qui mêle également le besoin d'écrire et la sensation d'être dépouillé par la vie.
J’avais définitivement compris que nos rêves ne descendent sur terre que le temps de nous faire un pied de nez, en nous laissant une saveur sur la langue, quelque chose comme de la confiture de caillots, et j’ai repris le grimoire, comme ça, au beau milieu du champ, et mon crayon a poursuivi comme un seul homme, car un secrétarien, un vrai, ne recule jamais devant le devoir de donner un nom aux choses, qui est son office, et je me trouvais assez désarmée par la vie pour ne pas désirer me dépouiller davantage, à l’instar des franciscains et des mules aux yeux doux, et aller jusqu’à me démunir de mes poupées de cendre, je veux dire les mots, tant il est vrai que nous sommes pauvres de tout ce qu’on ne sait pas nommer, comme dirait le Juste Châtiment, si elle savait parler. 
Bref, c'est dur d'écrire une chronique ici sans vous divulgâcher pour vous montrer toute la portée de ce récit. Le style et la construction du récit sont au rendez-vous, et je ne peux que vous inviter à découvrir ce titre, car c’est horrible comme c’était beau. 


Quelques citations

Mais rien de cela n’est la faute à l’impossible. Elle apprendrait à lire avec moi. Dans les dictionnaires que nous irons chercher dans ce qui restera demain de la bibliothèque incendiée, où quelques-uns, j’ose le croire, auront été épargnés, ç’a la vie dure les dictionnaires, mine de rien, ils ont le calme entêtement du bois dont ils sont issus, les arbres ne pouvaient pas nous faire de cadeaux plus beaux. Et nous lirons, nous lirons! Jusqu'à tomber par terre d'ivresse, car après tout qu'importe qu'elles nous mentent, ces histoires, si elles ruissellent de clarté, et qu'elles étoilent le chapeau des enfants déboulés de la lune étendus côte à côte deux par deux, elle et moi?  
Parfois la voix de papa s’élevait par-dessus la mélodie, la chevauchait quelques instants, la tourmentait juste ce qu’il faut, et je ne peux pas vous dire, c’est horrible comme c’était beau.
Je vais vous dire, si j’avais pu prévoir que, avant la fin du jour, je me retrouverais en tête à tête avec l’inspecteur des mines, je crois à tout prendre que j’aurais préféré aller me pendre à la corde de papa, car je craignais un peu les envies de mon cœur, c’est le moins qu’on puisse dire, et selon ce que nous dictent la nature et la religion, c’est de mon frère bien évidemment qu’il convient que je sois amoureux, pas d’un autre.
Car que faire d’autre qu’écrire pour rien dans cette vie? D’accord, d’accord, j’ai dit «les mots: des poupées de cendre», mais c’est trompeur aussi , puisque certains, quand ils sont bien rangés en phrases, on reçoit un véritable choc à leur contact, comme si on posait la paume sur un nuage au moment juste où il est gonflé de tonnerre et va se lâcher. Il n’y a que cela qui m’aide, moi. À chacun ses expédients.

Parce que je participe à quelques challenges

Un mot, des titres
 

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