lundi 10 août 2020

Souvenirs de lecture

Bon, les habituées le savent, je suis irrégulière dans les chroniques, et vous voyez que je semble essayer de rattraper mon retard dans celles-ci ces temps-ci. Et vous n'avez pas tort. Or, je n'ai pas la chance d'avoir les mêmes souvenirs que pour Futu.Re pour des lectures plus ou moins lointaines, ou pour certains titres, je n'ai tout simplement pas la sensation d'avoir assez à dire pour écrire une chronique individuelle. Bien que certains titres, j'ai pris le parti de ne pas les chroniquer, il y en a certains qui arrivent dans les catégories de la phrase précédente, et que je tiens à vous partager. C'est pour cela que je reviens avec une multi-chronique pour vous parler de quelques titres.

Une pluie d'étincelles de Tamara McKinley

Bien que le sujet ne soit pas le plus enthousiaste (feu dans l'outback Australien de l'après-guerre), j'ai passé un bon moment avec ces personnages. J'ai apprécié voir comment ils géraient le feu à cette époque et apprécié le style. J'ai aimé voir comment les différents personnages s'entrecoupaient, bien que je me sois posée des questions sur le père, c'est surtout de voir la vie de l'époque qui m'a le plus plu. J'ai senti un peu de mou vers les trois quart, mais somme toute, une lecture qui m'a divertie.

Congo Inc. de In Koli Jean Bofane

On ne bafoue pas la nature, sinon elle se venge.

Voilà un titre dont j'ai remarqué plusieurs passages, mais dont j'ai l'impression que de les mettre dans une chronique ne ferait que tourner en rond puisque j'en suis sortie mitigée. Il est intéressant, fait réfléchir sur la mondialisation, la nature, qui sont les éléments sur lesquels j'ai remarqué plusieurs passages dont vous pouvez voir l'idée principale je crois par celle que je vous ai noté ici.  Cependant, je n'ai pas réussi à sentir d'émotions (face à Isoo, à l'histoire, pas par rapport à la situation). J'ai trouvé que les passages sur la situation du Congo n'étaient pas aussi bien intégrées dans l'histoire qu'ils auraient pu l'être. Même si la plume était sérieuse, celle-ci est fluide et m'a permis de l'apprécier. Et je crois que le plus de ce récit réside dans la réflexion sur la nature et la mondialisation. 

Le secret des abeilles de Sue Monk Kidd

Je n'ai pas vu le film, et ce qui m'attirait dans ce titre, c'était le côté ségrégation. Hors, j'ai trouvé que celle-ci restait en arrière-plan par rapport à d'autres titres que j'avais lus, surtout que le côté émeutes raciales dans la quatrième m'avait laissé penser que ce serait davantage présent. Cela est peut-être la raison pour laquelle j'ai moins apprécié qu'escompter. Cependant, le récit prend ses aises petit à petit, grâce à une bonne construction, ce qui m'a permis de trouver intéressante la façon dont Lily prend sa place à travers ses apicultrices. Je verrai sans doute le film pour voir comment cela a été adapté. 

L'égarée de Donato Carrisi (Mila Vasquez, tome 3)

Voilà, ça fait un bon moment que j'ai lu L'écorchée, au point que je ne me rappelle pas comment ça se termine. Mais je savais que ce titre faisait partie de la saga, et j'avoue qu'au début je me demandais si je lisais la bonne chose: j'avais surtout un doute sur un élément, qui se révèle être la chute de ce tome-ci. Même si je la pressentais, des éléments me faisaient douter: j'ignore s'ils sont des incohérences ou s'ils n'ont pas été répondu, car je n'ai pas relevé ce qui pouvait les expliquer. Bien qu'un départ plus lent à cause de mes interrogations, je retrouvais le style, et encore une fois ce fut addictif comme lecture, et permet de mettre une part d'éclairage, car on veut voir le fin mot de l'histoire. 

Obasan de Joy Kogawa

Malheureusement, même si je voulais en apprendre sur l'exclusion des Japonais au Canada pendant la Seconde Guerre mondiale. Or, il y a plusieurs passages où le brouillard des souvenirs est évoqué, et je dois dire qu'à la lecture, ce brouillard est opaque, laissant le lecteur extérieur. J'ai eu l'impression que l'auteur prenait cela comme si c'était une thérapie, comme si c'était une écriture d'extériorisation des souvenirs, mais moi, ça m'a laissé hermétique, et me l'a fait abandonner. 

                          
Aussi, je me rends compte que tous ces titres entraient dans le défi Glace et fudge par leurs thématiques. Bien qu'il y en ait que je n'ai aucunement chroniqué sur le blog, c'est peut-être la raison pour laquelle je tenais à vous glisser des mots sur ces titres puisque je trouve ces thématiques importantes! Et j'en profite donc pour vous mentionner les défis auxquels ces titres ont aussi contribué: 
Tour du monde
Snakes & Ladders
Le temps à l'envers
Adaptations
12 thèmes


petit bout d’humanité abandonnée qui ne manquait pas d’audace

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Anne, tome 1: La Maison aux pignons verts 
Auteur : Lucy Maud Montgomery 
Édition: Québec Amérique - 1994 -  374p. - traduction de Henri-Dominique Paratte 
Original: Anne of Green Gables L.C. Page & Company Inc, 1908 
Couverture: illustration de Michel Tiffet 
Jeunesse, classique
Littérature canadienne

Présentation: Les Cuthbert veulent adopter un garçon pour les aider à la ferme. Or, ils se retrouvent face à la maigrichonne, rousse, pétillante Anne.
+ : fraîcheur
- :  
Thèmes: adoption, jeunesse, imagination, apparence




Pourquoi ce livre

Parce que Julie a lancé une LC sur ce titre de ma jeunesse dont je ne cessais de repousser ma relecture à cause d'appréhensions face au magnifique souvenir que j'en avais.

Mon avis
Eh bien! Mes appréhensions étaient-elles justifiées? Était-ce trop jeunesse? Aucunement, car j'ai grandement apprécié cette relecture. 

J'avais peur que le style soit trop niais, trop un étalage de jolis mots pour rendre des descriptions. Bien sûr, il reste des jolis mots pour nous transmettre la beauté, mais ceux-ci rendent justice à l'imagination, à la magie, sans en faire trop. Lucy Maud Montgomery semble avoir suivi le conseil que son personnage de Mlle Stacy donne, et cela rend une prose d'émerveillement fluide: 
C’est plus agréable de penser à de jolies choses qui vous sont chères et de les garder pour soi, comme des trésors. Je n’aimerais pas qu’on s’en moque ou que d’autres essaient de les interpréter. Et je n’ai plus envie d’utiliser de grands mots. C’est presque dommage, d’ailleurs: me voilà maintenant assez grande pour m’en servir correctement si je le désire. À certains égards, Marilla, c’est bien agréable d’être presque une grande personne, mais ce n’est pas tout à fait ce à quoi je m’attendais. Il y a tellement de choses à inventer, à découvrir, à méditer, qu’on n’a plus le temps d’utiliser de grands mots. De plus, Mlle Stacy affirme que les mots courts sont meilleurs et plus expressifs. Elle veut que nous écrivions nos dissertations le plus simplement possible. C’était difficile, la première fois. J’avais tellement l’habitude de faire étalage de tous les beaux grands mots qui me traversaient l’esprit, et ils étaient nombreux, je peux te dire! Mais je m’y suis habituée, à présent, et je me rends compte que ça donne de meilleurs résultats. 
Bien entendu, je n'ai pas eu la surprise de découvrir l'histoire, mais j'ai pris grand plaisir à retrouver ce petit bout d’humanité abandonnée qui ne manquait pas d’audace, qui se mettait les pieds dans les plats sans le vouloir, car au fond, elle est quelqu'un de bien, avec une imagination débordante, et qui nous fait vivre plus,  pour reprendre son expression, d’«une journée mémorable». Je comprends pourquoi Anne m'avait séduite jeune, et qu'elle le refait plus de 20 ans plus tard: elle est attachante, ambitieuse, amoureuse de la vie, ce qui nous donne une lecture remplie de fraîcheur, qui peut autant toucher les jeunes que les adultes. Bref, Anne aimerait être remarquable, et je dois dire que Lucy Maud Montgomery a réussi à lui rendre son souhait. 

De plus, j'avais peur que le contexte soit trop daté et que ça permette moins de s'ancrer dans l'histoire. Malgré tout, même si on voit des écoles de rang dans le récit, le fait que la principale trame soit sur les défis d'intégration d'Anne suite aux préjugés de son adoption permet de se plonger dans l'histoire. Le tout mêlée sur ses préoccupations face à son apparence, ses amitiés, son imagination.  

Bref, j'avais peur de scrapper mon souvenir de cette lecture qui m'avait fait adoré la lecture, et ce n'en fut aucunement le cas. J'ai encore grandement aimé! Faites vous-en  votre propre idée si vous le souhaitez, car  chose certaine, il n’est pas possible de s’ennuyer en sa compagnie.

Quelques citations
Il est si facile d’être méchant sans le savoir, n’est-ce pas?
Qu’il est bon d’avoir des buts dans l’existence! Je suis contente d’en avoir autant. Et l’ambition a cet avantage de vous pousser toujours plus loin, de vous forcer à faire toujours mieux; dès qu’on atteint un de ses objectifs, en voilà u autre qui surgit, encore plus lumineux, encore plus attirant, et c’est le désir de l’atteindre qui donne tant de piquant à la vie! 

Il lui sembla même que ces pensées critiques intimes qu’elle n’avait jamais exprimées venaient de prendre une forme concrète et accusatrice, en la personne de ce petit bout d’humanité abandonnée qui ne manquait pas d’audace.

«Je suis prête à admettre mon erreur» fit-elle ingénument, «mais j’ai appris une leçon. Je ne peux que rire en pensant aux ‘‘aveux’’ d’Anne, mais je ne devrais pas, puisqu’il s’agissait de mensonges. [...]Cette enfant n’est pas facile à comprendre, je dois avouer, mais je suis persuadée qu’elle deviendra quelqu’un de bien. Et, en tout cas, chose certaine, il n’est pas possible de s’ennuyer en sa compagnie. »
Il est difficile de choisir, tellement de personnes remarquables ont déjà vécu! Est-ce que ce n’est pas extraordinaire d’être remarquable, de savoir que l’on parlera de vous quand vous serez mort? Oh, j’aimerais passionnément être remarquable!  
Les créatures en chair et en os ne fonctionnent pourtant pas comme des règles d’arithmétique 

Oh, mais je ne pensais pas seulement à l’arbre; bien sûr qu’il est beau — oui, il est même d’une beauté radieuse, il fleurit parce qu’il le veut bien — mais je parlais de tout, du jardin, du verger, du ruisseau et des bois, de tout ce monde, si vaste, si beau. Est-ce que vous n’êtes pas en amour avec le monde, un matin comme celui-ci? Et le ruisseau rit si fort que je peux l’entendre d’ici. Avez-vous jamais remarqué à quel point les ruisseaux sont joyeux? Ils rient tout le temps. Même en hiver, je les ai entendus sous la glace. Je suis si heureuse qu’il y ait un ruisseau près de Green Gables. Vous pensez peut-être que cela ne fait aucune différence pour moi, puisque vous n’allez pas me garder, mais cela en fait une. J’aurai toujours du plaisir à me rappeler qu’il y avait un ruisseau près de Green Gables même si je n’y reviens jamais. S’il n’y avait pas de ruisseau, je resterais comme hantée par la sensation déchirante qu’il aurait dû y en avoir un. Je ne suis pas plongée dans les abîmes du désespoir, ce matin, je ne le suis jamais le matin. N’est-ce pas une chose magnifique qu’il y ait des matins? Mais je me sens très triste. Je venais juste d’imaginer que finalement c’était moi que vous aviez choisie et que je pouvais rester ici pour toujours. Cette pensée m’a fait du bien le temps qu’elle a duré. Mais le pire, lorsqu’on imagine des choses, c’est qu’il arrive un temps où l’on doit s’arrêter, et ça fait mal.  

Je n’avais jamais pensé que mes compositions recelaient autant de défauts jusqu’à ce que je les découvre moi-même. J’ai alors eu tellement honte que je voulais abandonner, mais Mlle Stacy m’a dit que, pour apprendre à bien écrire, il fallait d’abord apprendre à devenir critique envers soi-même.  
Pour Anne, c’était un honneur indescriptible d’avoir été choisie, et elle ne tenait déjà plus en place: il s’agissait, une fois encore, pour reprendre son expression, d’«une journée mémorable».

 Parce que je participe à quelques challenges


Adaptations
 

Et même si c'est Canadien, puisqu'il risque d'y avoir une journée Canada, je profite du billet pour vous dire que Karine:) a mentionné que ceci allait revenir: 




dimanche 9 août 2020

Les règles écartent toute responsabilité

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 Futu.Re
Auteur : Dmitry Glukhovsky 
Édition: Le livre de Poche - 2019 - 945 p. - traduction de Denis E. Savine 
Original: Будущее, 2013
Couverture Leraf et Librairie L'Atalante 2015 
Science-fiction, utopie, littérature russe

Présentation: Depuis plusieurs années, l'humanité, suite à la surpopulation, sait contrôler le vieillissement: un groupe veille à ce que chaque naissance soit déclarée afin qu'une personne se fasse injecter l'accélérateur de vieillissement et n'ait plus son immortalité. 
+ : critique
- : ponctuation
Thèmes: immortalité, surpopulation, vieillissement, religion 




Pourquoi ce livre

Parce qu'il reposait sur un stand lors de mon passage en librairie en juillet 2019, que je cherchais des titres de nationalités que je n'avais jamais lues ou que très peu et que la couverture m'a attirée. Et en plus, avec ce titre, je ne pouvais qu'avoir envie de le découvrir.
 
Anecdote
Puisque je l'ai lu fin 2019, je retapais les citations pour me remettre dedans, et j'avoue qu'une des premières qui m'a marquée est celle qui va suivre, et avec le contexte actuel où certains nient tout ce qu'ils entendent des médias, je ne pouvais que repérer la coïncidence: 
Les gens qui sont prêts à croire ce qu’ils entendent aux informations sont aussi prêts à croire que le gouvernement s’occupe de leur bien-être. Mais si on leur disait la vérité à ce propos, je pense qu’ils se sentiraient mal.
Mon avis
Voilà, dès la fin de ma lecture - et même avant -, je savais qu'il ferait partie des titres que je vous chroniquerais. Cependant, le temps ayant passé, c'est toujours difficile de bien rendre justice à ce titre que j'ai grandement apprécié, puisque, malgré les nombreuses citations prises en note qui m'ont permis de mettre un peu d'ordre dans ma mémoire, ça se bouscule toujours.

Tout d'abord, j'ai bien aimé de voir comment était gérer l'immortalité puisqu'il y a déjà surpopulation, avec toutes ces injections afin de contrôler cette dernière:  on voyait la cruauté, l'indifférence de l'humain face à ses actes: 
Nous retournons les gros, posons sur des civières les frêles, portons dans nos bras les jeunes femmes, lançons les vieillards en les tenant par les poignets et les chevilles — nous identifions, nous injections, nous identifions, nous injectons, identifions, injectons, injectons, injectons. Englué de vengeance, je ne peux même plus te haïr, Barcelone, car en vérité je ne suis plus capable d’aucune émotion — il nous reste encore cinq cents têtes à traiter chacun.  
Je me tiens à l’écart et les regarde gérer rapidement et efficacement les corps des enfants, sans penser un seul instant que la fillette de trois ans aux cheveux courts bouclés — pschit! — mourra sous les traits d’une petite vieille desséchée à l’âge de treize ans. Ou que cette petite Noire de cinq ans — pschit! — mourra à quinze, sans avoir eu la chance de tomber amoureuse. Ou que cette beauté de sept ans à la longue tresse épaisse pourra à peine goûter à la vie, car une vieillesse précoce dévorera sa splendeur avant qu’elle n’ait réellement eu le temps d’éclore. 

Bien entendu, avec une telle prémisse, et cette indifférence, il ne peut qu'y avoir des critiques du système, entre autres sur le fait que certains se cachent derrière ces lois ou sous d'autres: 

Cela fait bien trop longtemps que j’accuse les autres de ma propre nullité, dont ils ne sont en aucun cas responsables. 
Trop tard pour que j’y change quoi que ce soit.

Je n’éprouve que rarement des doutes ou des regrets consécutifs à mes actes: d’ordinaire mon travail m’épargne l’obligation de choisir; sans choix, pas de regrets. Heureux celui pour qui d’autres prennent la peine de choisir: il n’a rien à confesser.

il est un homme d’État, et l’État fera les choses à sa place: des bourreaux payés par le contribuable, la guillotine mille fois ralentie de la justice désargentée.

Aussi, j'ai aimé qu'on ressente la colère du personnage, et qu'on puisse comprendre d'où elle venait, et que cela amène sa vision des choses sur l'immigration, la vieillesse, ces causes de la surpopulation.

Ça donne la nausée, mais c’est fait pour. L’Europe n’a pas besoin de personnes âgées: il faut les soutenir, les soigner, les nourrir. Elles ne produisent rien à part de la merde et des décorations de sapin; en revanche, elles consomment de l’eau, de l’air et prennent de la place. Ce n’est pas une question de profit, les rations de chacun ne font qu’assurer sa survie. L’Europe est déjà à plein régime, nul besoin de monter en puissance davantage.
Mais vieillir et mourir est un droit constitutionnel, tout aussi inaliénable que celui de rester éternellement jeune. Tout ce que nous sommes capables de faire, c’est convaincre les gens de ne pas vieillir. Et on s’y emploie comme on peut.
Ceux qui choisissent de se multiplier préfèrent rester des animaux, ça les regarde. L’évolution va de l’avant et ceux qui ne s’adaptent pas crèvent. Quant à ceux qui ne veulent pas s’adapter, l’évolution, elle, ne va pas les attendre non plus.

Les immigrés nous volent notre air et notre eau. Nous, nous refusons de perpétuer l’espèce… et pourquoi? La place de nos enfants nous nés est prise par des assistés crasseux, qui propagent des infections que l’Europe a vaincues il y a trois siècles… Ils se font soigner à nos frais et, d’une manière ou d’autre autre, sont vaccinés contre la mort. Ils veulent nous parasiter pour toujours, et si nous ne mettons pas un terme à tout ça très rapidemetn, immédiatement, l’Europe peut s’effondrer.
Et bien entendu, pour que de tels impacts puissent être acceptés, il fallait évacuer Dieu: 
Les hommes avaient renoncé aux cieux, mais pas pour longtemps. Dieu n’avait pas eu le temps de se retourner qu’on l’avait d’abord envahi, puis tout bonnement expulsé. Désormais, c’est toute l’Europe qui est hérissée de tours de Babel; mais aujourd’hui ce n’est pas une question d’orgueil, seulement d’espace vital.
Quant au goût de la compétition avec Dieu, voilà des lustres qu’il est perdu.
Le temps où Il était unique est passé; désormais, Il est un parmi cent vingt milliards. Et ça, c’est dans le cas où Il est recensé en Europe, car il faut compter également la Panamérique, l’Indochine, le Japon et ses colonies, les territoires latinos et enfin l’Afrique. Au total, un peu moins d’un trillion de Terriens. Nous sommes à l’étroit. Nous n’avons nulle part où installer nos usines et nos complexes agricoles, nos bureaux et nos arènes, nos établissements de bains et nos similisions de nature. Nous sommes trop nombreux et nous Lui avons demandé de déménager, voilà tout. Nous avons bien plus besoin des cieux que Lui. 
Mais malgré qu'on l'ait déménagé, cela n'empêche pas d'avoir des réflexions sur la religion, sur l'immortalité en parallèle avec le véritable sentiment de vie. Bref, c'est un livre où il y a des réflexions et critiques qui servent le récit, le caractère des personnages, et ces réflexions sur l'immortalité s'entrecroisent avec celles sur l'évolution, le vieillissement, les raisons d'être des humains, l'impact de cette immortalité, sans que cela m'ait paru redondant puisqu'elles sont bien disséminées à travers le récit et apportent chacune une parcelle d'idées. 
Et pourquoi est-ce qu’à la place des vitamines ils s’enfilent des antidépresseurs, hein? Parce qu’ils sont heureux? 
— Et qu’est-ce que Dieu commande?
— L’homme ne peut pas vivre sans sens et sans but! Il en a besoin. Et eux, qu’est-ce qu’ils sont allés inventer? Les pilules du destin. Illuminat. Ils ont tiré une saloperie des champignons hallucinogènes, et voilà! Tu prends ça, ça te verrouille les récepteurs cérébraux, et soudain tout prend un sens, plus rien n’est le fruit du hasard. Le problème, c’est que les gens s’y habituent. Au sens de la vie. Alors il faut une nouvelle dose. Voilà où il est, le bizness! Dans les labos pharmaceutiques! 
— Eh ouais! hurlé-je. Tu reconnais toi-même qu’il suffit de prendre un cachetons! Et voilà l’affaire: l’illumination, le sens, la paix! Tout est dans la chimie! Tes récepteurs, tu les satures soit à coups d’hormones, soit à coups de cachetons, quelle différence? 
— La différence, c’est que les fainéants sont favorisés. Qu’on nous transforme en bétail paresseux. Qu’on nous gave de nourriture à bestiaux. Que dis-je, nourriture? Du liquide nutritif. Comme ces bisons. (Il hoche la tête en direction de la grande salle.) L’âme a besoin d’effort. Et La foi est cet effort. On doit travailler sur soi en permanence. C’est un exercice. Pour ne pas devenir du bétail, un morceau de viande.
Je ne suis pas un surhomme. Je suis un être humain de chair et de sang. Vivant. Suis-je autorisé à avoir des faiblesses? 
C’est l’ordre naturel des choses: les gens ordinaires ne sont faits que pour jouir. Jouir du monde, jouir de mets délicats, jouir les uns des autres. Quoi d’autre? Être heureux. Quant aux gens comme moi, ils sont faits pour protéger ce bonheur.
— Tu penses être fort? Tu penses que seuls les mortes ont besoin de Dieu? Pourtant, ce sont les immortels qui en ont le plus besoin!

— C’est ça! C’est la vie! La vie, tu comprends? Ce n’est pas un état végétatif. Il vaut mieux oser et se brûler, au moins on sent quelque chose!

La société ne peut pas attendre le vieillissement naturel de celui qui a fit le mauvais choix; en outre, si l’on se contentait simplement de le priver de son immortalité, celui-ci aurait le temps, en quelques décennies, d’engendrer tellement de bâtards que tout notre travail ne servirait à rien. C’est pour cette raison qu’au lieu d’injecter un simple antiviral nous lui préférons un autre virus: l’accélérateur.

Ce qui est vivant doit mourir. Nous ne sommes pas des dieux. Nous ne pouvons pas le devenir. Nous sommes dans une impasse. Nous ne pouvons rien changer parce que nous sommes incapables de changer nous-mêmes. L’évolution s’est arrêtée avec nous. La mort apportait le renouveau, la remise à zéro. Nous l’avons interdite. 

Bien entendu, certains pourraient être freinés par le côté antipathique du personnage principal, mais ça ne m'a aucunement gêné car j'aime voir tous les tenants et aboutissants pour comprendre d'où pouvait venir de telles pensées, et avec des retours dans le passé, on comprend comment il a pu développer une telle hargne et un tel respect des valeurs qu'il véhicule. 

Puisque, même si j'ai bien apprécié, ce n'est pas parfait, je vais vous parler des défauts dont je me souviens. Je me rappelle que la ponctuation dans les dialogues, surtout des points d'exclamation à profusion, me freinait, mais j'ignore si c'était un rythme russe, et à la longue je m'y suis habituée. 

Aussi, même si j'ai senti un petit essoufflement dans ma lecture, celui-ci a été de courte durée, et je dirais que pour un récit de près de 1000 pages en poche, je me serais attendu à sentir davantage de creux, ce qui n'a pas été le cas, et qui, avec toute cette critique qui sert le récit, j'ai apprécié ma lecture. Faites vous-en  votre propre idée si vous le souhaitez! 

D'autres citations
Les règles écartent toute responsabilité, dis-je d’un ton neutre. 
Les épreuves ne s’arrêtent pas avec la sortie de l’internat, Jan. Elles ne s’arrêtent jamais. Il ne faut pas les redouter. Les épreuves nous rendent plus forts. Je n’ai fait que t’entraîner. 
Bien sûr, , j’ai décrété que tu n’en avais rien à secouer de moi. Que tu t’étais débarrassée de moi et que tu t’étais fait une joie de m’oublier. C’Était plus facile à croire, le plus doux et le plus douloureux. Quand tu es petit, il est plus facile de souffrir d’une absence d’amour que de l’absence d’une personne qui t’aime. 
Imaginer avec son intelligence — cette braise qui refroidit, cette étincelle qui s’échappe d’un feu —, et assembler de ses mains — douces, fragiles, malhabiles, faites de viande pourrissante — quelque chose qui va tourner se ce n’est pour l’éternité, du moins pendant vingt-six mille ans! 
— Écoute-moi bien! Je m’en fous de toit et de ton singe, compris? Tu as enfreint la Loi! C’est tout ce que je sais et je ne veux rien savoir d’autre! Si tu ne pouvais pas te retenir, il fallait bouffer les pilules! Qu’est-ce qui te manquait, hein? Quoi? Qu’est-ce que t’avais à faire d’un gamin? Tu es jeune. Pour toujours! En bonne santé. À jamais. Bosse! Sors-toi de cette merde! Vis une une vie normale! Le monde entier est à tes piedds. Tous les bonshommes sont à toi! À quoi bon ce petit singe?
— Ne dites pas ça! Ne dites pas ça!
— Et si tu ne veux pas vivre comme un humain, vis comme le bétail! Mais le bétail vieillit! Le bétail crève! 
Quelque part au-dessus des planètes paralysées se trouve le théâtre de marionnettes: sur le balcon inférieur, la Mort armée de sa faux accueille de petits personnages colorés, sur le balcon supérieur, la figurine de Jésus regarde les silhouettes de ses apôtres. 
Les gens vont se bouffer entre eux. Tu penses que ça intéresse quelqu’un de connaître le déficit énergétique de l’Europe, ou combien de bouches supplémentaires pourront sustenter les fermes de sauterelles? Ce serait intéressant de savoir quel prix devra atteindre un paquet d’algues pour que les gens commencent à se révolter. Au début du XXIe siècle, la population de cette planète comptait sept milliards d’individus, et vers la fin quarante milliards. Par la suite, elle a doublé tous les trente ans jusqu’à ce que le prix d’une vie soit une autre vie. Diminue ce prix d’un iota et c’est terminé. Si la population augmente d’un tiers… c’est la crise, la famine, la guerre civile. Mais les gens refusent de comprendre tout ça, ils se fichent bien de l’économie, de l’écologie, ils sont trop paresseux pour penser et surtout trop effrayés de le faire. Tout ce qu’ils veuilles, c’est bouffer et baiser tout leur saoul. Tout ce qu’on peut faire, c’est les effrayer.
—C’est bien ce que je dis, il ne faut pas prendre tout ça trop au sérieux! La jeunesse éternelle, la surpopulation, toute cette poudre aux yeux. Tu sais, un système ne tient que tant que tout le monde y croit. Ce qu’ils redoutent le plus, c’est que les gens se mettent à réfléchir.  
Qui a prétendu que la vérité était facile à dire? Voilà déjà un mensonge.
Le mensonge présente un seul inconvénient: il exige une excellente mémoire. Mentir, c’est comme construire un château de cartes: chaque nouvelle carte doit être posée avec plus de précaution que la précédente, et ce sans jamais quitter des yeux la construction instable sur laquelle on compte s’appuyer. Oubliez le moindre détail des mensonges précédents et tout s’effondre. Le mensonge a ceci de particulier: une seule carte ne suffit jamais.

 Parce que je participais à quelques challenges


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