mardi 28 avril 2020

Terrible pensée!

Cliquez sur l'image pour vous le procurer
Dracula
Auteur : Bram Stoker
Édition: Pocket - 1992 - 566 p. - traduit par Jacques Finné
Original: Dracula, 1897
Photo de couverture par Henry Hohenstein
Classique, fantastique, épistolaire, littérature irlandaise

Présentation: Le mythe Dracula
+ : psychologie
- : peur
Thèmes: peur, vampires, folie


Pourquoi ce livre
Parce que j'avais demandé ce livre en PEB, et que c'était une version jeunesse qui était arrivée. Même si je n'avais pas apprécié, je tenais toujours à découvrir le texte intégral pour bien voir à quel point ce titre a eu un impact.

Mon avis
Et j'ai bien fait! Je me souviens avoir apprécié le style dès les premières pages, et l'ambiance qui s'en dégageait. Bien entendu, comme souvent, j'écrit ma chronique quelques mois après ma lecture, ce qui fait que mes souvenirs se sont légèrement estompés, et font que les + et - sont peut-être biaisés. Or, avant de me mettre à la rédaction, je retapais des passages du livre, ça aide à réactiver ma mémoire. D'ailleurs, j'ai réalisé à quels points certains passages qui m'ont marqué sont longs, et que j'en avais plusieurs, ce qui peut montrer mon appréciation du récit.

Peu après l'avoir débuté, j'ai vu qu'il y avait une LC organisée par Aealo, et je n'ai pu que la joindre pour discuter de ce mythe. Les participants pourront d'ailleurs très bien s'imaginer pourquoi, lorsque je tapais les passages, j'ai souri en tapant:
Mais hélas, vous vous embarrassez de préjugés. Parfois, vous ne permettez pas à vos yeux de voir ni à vos oreilles d’entendre et vous ne vous encombrez pas de tout ce qui transcende votre vie quotidienne. Ne croyez-vous pas qu’il existe des forces que vous ne pouvez comprendre — ce qui n’exclut pas leur existence? Ne croyez-vous pas que certaines gens puissent voir des choses que d’autres ne voient pas? Des choses, d’ailleurs, il en existe, anciennes ou modernes, qui ne risquent pas d’être surprises par des yeux humains étant donné que ces mêmes humains croient, ou croient croire d’autres choses qu’on leur a enseignées. À qui la faute, sinon à notre science qui désire tout expliquer? Et si elle est incapable d’expliquer, elle prétend qu’il n’est rien à expliquer. Pourtant, ne voyons-nous pas naître, autour de nous, chaque jour, de nouvelles croyances — plus exactement, des croyances qui se prétendent nouvelles? De fait, elles sont bien anciennes, même si elles se prétendent neuves — comme ces belles dames qui hantent les soirées d’opéra. Je crois que vous ne voulez rien entendre de la transmutation des corps, n’est-ce pas? Ni des corps astraux? Ni de la lecture des pensées! Et l’hypnotisme? Toujours pas?
Pour ceux qui n'ont pas participé à la LC, c'est parce qu'une membre qui suivait la discussion (elle se reconnaîtra) avait suggéré d'oublier tout ce qu'on connaissait de Dracula pour bien apprécier ce récit. (C'est moi qui ajoute le gras.) Et d'ailleurs pour ma part, je préfère ce vampire originel plutôt que de ceux stéréotypés que l'on voit dans les récits de bit-lit par exemple. Malgré cela, il ne faut pas oublier que
Et je vous convie à croire aux superstitions. Elles furent l’acte de foi des hommes dans les premiers âges et plongent leurs racines dans les vraies connaissances.
Cependant, je ne crois divulgâcher personne en disant que les protagonistes ont des connaissances sur Dracula et à vous partager ce passage qui résume bien leur état de connaissances:
Si j’avais su, depuis plus longtemps, voire si j’avais deviné, soupçonné ce que je sais à présent, une vie précieuse aurait été épargnée – une de ces vies à laquelle tenaient bon nombre d’entre nous. Mais le passé est passé et nous devons agir, à présent, de telle sorte que d’autres âmes ne périssent pas de la même manière, si nous pouvons les sauver. Le nosferatu ne meurt pas, comme l’abeille, dès qu’il a frappé. Bien au contraire, son forfait accompli, il est plus fort encore, dispose d’une puissance accrue pour perpétrer le mal. Le vampire que nous devons affronter possède la force de vingt hommes. Il est plus rusé que chacun d’entre nous, puisque la ruse s’accroît avec l’âge. Il tire aussi de nombreuses ressources de la nécromancie, soit, comme l’indique l’étymologie, la divination par le biais des morts. D’ailleurs, tous les morts dont il peut approcher s’inclinent devant lui et se mettent à son service. Il est brutal, plus que brutal, même. Il est vicieux, au sens le plus terrible du mot, et d’autant plus qu’il n’a pas de cœur. Dans certaines limites, il peut apparaître selon sa propre volonté, où il le veut et sous la forme qu’il désire. Il peut aussi se rendre maître de certains éléments – la tempête, le brouillard, le tonnerre. Il peut commander à des créatures inférieures – le rat, le hibou, la chauve- souris, la phalène, le renard, le loup. Il peut grandir et se rapetisser jusqu’à pouvoir disparaître comme s’il n’existait plus. Comment alors pourrons-nous le détruire, à jamais? Comment, d’abord, pouvoir le localiser ? C’est une tâche terrible qui nous attend, mes amis, une tâche impensable dont les conséquences possibles pourraient faire trembler le plus brave. Si nous échouons dans notre lutte, c’est à coup sûr qu’il aura vaincu. Et alors, qu’adviendra-t-il de nous ? La vie n’est rien. Je ne l’adore pas. Mais notre échec porte bien plus loin que la vie et la mort car, si nous échouons, nous deviendrons comme lui de terribles créatures de la nuit, sans cœur, sans conscience, faisant proie de ceux, de celles que nous aimons le plus. Pour nous, alors, et à jamais, les portes du ciel seraient fermées et, pis encore, qui interviendrait pour nous les ouvrir ? Nous pour- suivrions notre existence, objets de haine universelle, ombre à la face de Dieu, lance au flanc de Celui qui mourut pour les hommes. Pourtant, malgré cette terrible perspective, nous affrontons une sorte de devoir à accomplir. Et devant le devoir, est-il permis de trembler ? Moi, je réponds par la négative. Mais moi, je suis vieux et la vie, ses lueurs aveuglantes, ses havres de beauté, ses chants d’oiseaux, ses musiques, ses amours, s’étendent loin derrière moi. Vous autres, au contraire, vous êtes jeunes. Beaucoup d’entre vous ont affronté la douleur, déjà, mais ont l’assurance de jours heureux, tôt ou tard. J’attends donc votre réponse. 
J'ai aussi aimé lorsque nous pouvions sentir certains parallèles avec d'autres éléments.
Ne croyez pas, en me voyant rire, que je n’éprouve aucune tristesse. Vous voyez que j’ai pleuré même quand j’étouffais de rire ! Mais il ne faut pas croire non plus que je sois malheureux quand je pleure, puisque le rire a succédé aux larmes. N’oubliez jamais que le rire qui frappe à votre porte en vous demandant la permission d’entrer n’est jamais le véritable rire. Non. C’est un roi qui entre quand et comme il veut ! Il ne demande d’autorisation à personne ! Il ne choisit pas le moment le plus adéquat, mais s’annonce sans crier gare.
[…]
Si vous aviez pu lire au plus profond de mon cœur, quand j’ai éclaté de rire, si vous aviez pu comprendre ce que je ressentais quand la crise est arrivée, si vous saviez ce qui se passe quand Sa Majesté le Rire remporte sa couronne et tous ses attributs — car quand il me quitte, c’est pour aller loin, très loin, et longtemps — vous auriez sans doute plus pitié de moi que de votre autre ami!
Et bien entendu, je vous ai dit que dès le départ, je sentais l'ambiance et que je l'appréciais. Je ne peux donc que vous partagez des passages qui semblent simple, mais aide à transmettre l'ambiance gothique du roman.
Roches grises; ciel gris dont le faible soleil éclaire parfois quelques franges, par-dessus la mer grise dans laquelle les bancs de sable s’étendent comme des doigts gris. La mer donne de furieuses gifles au rivage, mais les sons me parviennent comme ouatés, à travers le brouillard qui assaille les terres. L’horizon se perd dans un brouillard gris. Tout semble infini. Les nuages s’empilent comme des roches géantes et, sur la mer, court une rumeur qui ressemble à des présages funèbres. De sombres silhouettes se profilent sur la plage, de-ci, de-là, parfois à moitié dévorées de brouillard, et l’on croirait «voir des hommes marcher comme des arbres». Les bateaux des pêcheurs se hâtent de rentrer au port, comme des ivrognes qui montent et descendent au gré de la houle.
mais les tombes n’avaient paru aussi monstrueusement blanches, jamais les cyprès, les ifs, les genévriers n’avaient autant paru les symboles de la tristesse la plus totale, jamais les arbres, jamais les herbes n’avaient ployé sous le vent de façon si sinistre, jamais les branches n’avaient craqué si mystérieusement et jamais les aboiements lointains des chiens n’avaient, me semble-t-il, envoyé présage plus sinistre à travers la nuit.
Mais pour moi, en plus de cette ambiance, c'est tout ce côté psychologique auquel je ne m'attendais pas qui fait la force du roman. Je fus surprise de voir tout ce pan de connaissances déjà à l'époque et voir comment Stoker transmis cela dans la crainte face à son vampire, avec un rôle assez important confié à un aliéné. Stoker avait très bien compris qu'il fallait faire progresser la science dans son domaine le plus difficile et pourtant le plus vital — la connaissance de l’esprit et ses mécanismes et son récit sur Dracula nous permet de nous faire une tête là-dessus à l'aide de différents passages.
Vous soignez les aliénés. Mais, d'une manière ou d'une autre, tout homme est un peu fou. Tout comme vous faites preuve de discrétion en soignant vos patients, vous vous montrez discret avec les fous de Dieu — le reste des hommes. Vous ne dites pas à vos fous ce que vous faites ni pourquoi vous le faites. Vous ne leur révélez pas vos pensées. Vous gardez la connaissance où elle doit être, à un endroit où elle pourrait s’épurer, se compléter. […]
À présent, vous êtes un maître et je suis certain que vos bonnes habitudes n’ont pas disparu pour autant. Souvenez-vous, mon ami, que la connaissance est plus forte que la mémoire et que nous ne devons pas accorder notre confiance à la plus faible. Même si vous avez perdu votre bonne habitude de prendre des montagnes de notes, laissez-moi vous révéler que le cas qui nous préoccupe pourrait bien être (j’ai bien dit pourrait être) d’un intérêt tel, pour la race humaine, que tout le reste pourrait sembler mineur! Prenez donc soigneusement vos notes. Rien n’est peut-être inutile. Je vous conseille même de noter le moindre de vos doutes, la plus insignifiante de vos hypothèses. Peut-être, dans la suite, serait-il intéressant pour vous de voir jusqu’à quel point votre diagnostic était bon ou mauvais. Ce sont les erreurs qui nous permettent d’apprendre, non les succès.
Depuis mon échec d’hier, je ressens une impression de vide. Rien au monde ne me semble digne d’une pensée. J’avait toujours affirmé que le seul remède à cette sorte de maladie était le travail. Je me suis donc réfuté chez mes patients et j’ai choisi celui qui me paraissait le plus intéressant. Ses idées sont si bizarres, si éloignées des normes que je suis disposé à tout tenter pour le comprendre. Aujourd’hui, j’ai eu l’impression de pénétrer plus loin que jamais au cœur de ce mystère.
Je l’ai interrogé plus profondément que je ne l’ai jamais fait à seule fin de mieux interpréter ses hallucinations. Je comprends fort bien, à présent, que ma conduite dissimulait quelque cruauté. Je donnais l’impression de le cantonner volontairement dans sa folie — ce que j’évite avec mes autres patients, comme j’évite la gueule de l’enfer.
Tout à coup, je remarquai, dans ses yeux, cette lueur sournoise, caractéristique de tous les déments à qui vient de s’imposer une idée. En même temps, il se mit à secouer la tête — phénomène que les surveillants d’asile connaissent trop bien.

Bref, vous en comprenez que j'ai apprécié ma lecture. Bien entendu, j'ai senti un petit creux au milieu, mais cela ne m'a pas empêché d'apprécier ce récit qui n'en est pas un d'aventure, mais où tous les tenants sur la crainte, sur les mécanismes de celle-ci me semblent faire sa force. Ce fut donc une belle découverte pour moi. Je vous invite donc à le découvrir, mais n'oubliez pas d'évacuer vos préjugés, et de vous laisser envelopper par cet univers. 

Quelques citations
Lorsque, un peu plus tard, je le vis, par une fente dans la porte, dresser la table dans la salle à manger, le doute ne fut plus permis; qu’il s’abaisse à ces travaux serviles démontre que personne d’autre n’est engagé pour les faire. Cette découverte me fit frissonner — si personne d’autre n’habitait le château, ce devait être le comte lui-même qu’il avait conduit la voiture, deux jours avant! Terrible pensée! Dois-je penser qu’il détient le pouvoir de contrôler les loups comme il me l’a montré — en levant seulement la main, sans même prononcer une parole? Et qu’était cette épouvante que ressentaient, à mon égard, le menu peuple de Bistritz et mes compagnons de voyage? Pourquoi ce crucifix? Popurquoi, dans la voiture, ces petits cadeaux peu ordinaires — ail, rose sauvage, cendre de montagne? Bénie soit la vieille femme qui m’a passé son crucifix autour du cou! Je sens renaître mes forces et mon courage chaque fois que je le touche. Étrange qu’un objet qu’on m’a appris à tenir pour un relent d’idolâtrie puisse apporter une aide aussi immense en des temps de solitude et de danger! L’essence de l’objet lui-même posséderait-il quelque pouvoir ou sert-il seulement de tremplin, de médium, pourrai-je presque dire, pour me replonger dans mes souvenirs les plus calmes et les plus heureux?
— Au diable, vous et toutes vos âmes! cria-t-il. Pourquoi me tourmenter avec elles! Ne croyez-vous pas qu’il me suffise de me tourmenter, de me désoler, de m’affoler sans qu’il faille encore m’occuper d’âmes?
[…] Je désire réfléchir, ce qui m’est impossible quand mon corps souffre de contraintes. 
les épreuves, les tensions, ne sont que des pièges destinés à évaluer la force de notre foi, que nous devons continuer à croire et à espérer
Puis j’ai un souvenir, vague, de quelque chose de long et de sombre, avec des yeux rouges — ce rouge que nous avons admiré dans le soleil couchant. C’était aussi quelque chose de très doux et de très amer qui m’a entourée en une seconde. J’ai alors eu l’impression de m’enfoncer dans une onde verte et profonde et j’entendais une mélodie résonner à mes oreilles — une mélodie semblable à celle qu’entendent, m’a-t-on affirmé, les noyés avant de mourir. Et puis, tout a semblé s’enfuir de moi. Mon âme jaillissait de mon corps et je flottais dans l’espace. Je croyais me souvenir que dans le temps, le phare occidental brillait en dessous de moi. Et puis, je subis un sentiment déchirant comme si je me débattais dans un tremblement de terre et je suis revenue à moi alors que vous me secouiez — je vous ai vue me secouer avant de le sentir vraiment.
si la sympathie humaine ne peut rien changer aux faits eux-mêmes, elle aide pourtant à les rendre plus supportables.
Renfield est un maniaque homicide d'une espèce particulière. Je vais devoir inventer une nouvelle classification pour son cas – je l’appellerai un maniaque zoophage. Il ne désire rien que d'absorber le plus de vies possibles et il est arrivé à cette obsession par un paroxysme assez surprenant. [..] Où en serait-il arrivé ensuite? Cela vaudrait presque la peine de le voir achever l’expérience. Mais il faudrait, pour cela, une raison suffisante. Les hommes ricanaient devant la vivisection et regardez les résultats d’aujourd’hui! Pourquoi ne pas faire progresser la science dans son domaine le plus difficile et pourtant le plus vital — la connaissance de l’esprit et ses mécanismes?
Mais la crainte est salutaire, car elle sert d’avant-poste à la croyance!


Parce que je participe à quelques challenges


et peut-être aussi

Ce titre fait également partie de la liste des 100 livres à avoir lus au moins une fois dans sa vie, et de celle du Teacher's Favorite Books 

4 commentaires:

  1. Jolie chronique !
    et je suis contente que tu l'aies apprécié (en tout cas bien plus que certains esprits fermés de la LC).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. je serais curieuse à voir à quels points ils repèrent des traits caricaturaux qui leur déplaît dans d'autres titres!

      Supprimer
  2. Ce Dracula originel est beaucoup plus ambigu et intéressant que tous les piètres succédanés qui l'ont suivi, très caricaturaux ! Et on peut dire la même chose du Frankenstein de Mary Shelley !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. je n'ai pas trouvé tant d'ambiguïté de mémoire! Et je ne peux comparer avec Frankenstein, vu que je ne l'ai pas vu! mais qui me met à mal à chaque fois que je vois le "monstre frankenstein" ;)

      Supprimer

Une petite trace de votre passage me fera chaud au coeur :)

Note de décembre 2018: comme on m'a signalé des problèmes, si vous n'avez pas de confirmation de type " votre commentaire a été publié ", n'hésitez pas à me contacter via mes différents profils, j'aime les échanges. Et je n'ai malheureusement pas eu de réponse pour régler le problème sur le forum.

Membres, bienvenue!