dimanche 9 août 2020

Les règles écartent toute responsabilité

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 Futu.Re
Auteur : Dmitry Glukhovsky 
Édition: Le livre de Poche - 2019 - 945 p. - traduction de Denis E. Savine 
Original: Будущее, 2013
Couverture Leraf et Librairie L'Atalante 2015 
Science-fiction, utopie, littérature russe

Présentation: Depuis plusieurs années, l'humanité, suite à la surpopulation, sait contrôler le vieillissement: un groupe veille à ce que chaque naissance soit déclarée afin qu'une personne se fasse injecter l'accélérateur de vieillissement et n'ait plus son immortalité. 
+ : critique
- : ponctuation
Thèmes: immortalité, surpopulation, vieillissement, religion 




Pourquoi ce livre

Parce qu'il reposait sur un stand lors de mon passage en librairie en juillet 2019, que je cherchais des titres de nationalités que je n'avais jamais lues ou que très peu et que la couverture m'a attirée. Et en plus, avec ce titre, je ne pouvais qu'avoir envie de le découvrir.
 
Anecdote
Puisque je l'ai lu fin 2019, je retapais les citations pour me remettre dedans, et j'avoue qu'une des premières qui m'a marquée est celle qui va suivre, et avec le contexte actuel où certains nient tout ce qu'ils entendent des médias, je ne pouvais que repérer la coïncidence: 
Les gens qui sont prêts à croire ce qu’ils entendent aux informations sont aussi prêts à croire que le gouvernement s’occupe de leur bien-être. Mais si on leur disait la vérité à ce propos, je pense qu’ils se sentiraient mal.
Mon avis
Voilà, dès la fin de ma lecture - et même avant -, je savais qu'il ferait partie des titres que je vous chroniquerais. Cependant, le temps ayant passé, c'est toujours difficile de bien rendre justice à ce titre que j'ai grandement apprécié, puisque, malgré les nombreuses citations prises en note qui m'ont permis de mettre un peu d'ordre dans ma mémoire, ça se bouscule toujours.

Tout d'abord, j'ai bien aimé de voir comment était gérer l'immortalité puisqu'il y a déjà surpopulation, avec toutes ces injections afin de contrôler cette dernière:  on voyait la cruauté, l'indifférence de l'humain face à ses actes: 
Nous retournons les gros, posons sur des civières les frêles, portons dans nos bras les jeunes femmes, lançons les vieillards en les tenant par les poignets et les chevilles — nous identifions, nous injections, nous identifions, nous injectons, identifions, injectons, injectons, injectons. Englué de vengeance, je ne peux même plus te haïr, Barcelone, car en vérité je ne suis plus capable d’aucune émotion — il nous reste encore cinq cents têtes à traiter chacun.  
Je me tiens à l’écart et les regarde gérer rapidement et efficacement les corps des enfants, sans penser un seul instant que la fillette de trois ans aux cheveux courts bouclés — pschit! — mourra sous les traits d’une petite vieille desséchée à l’âge de treize ans. Ou que cette petite Noire de cinq ans — pschit! — mourra à quinze, sans avoir eu la chance de tomber amoureuse. Ou que cette beauté de sept ans à la longue tresse épaisse pourra à peine goûter à la vie, car une vieillesse précoce dévorera sa splendeur avant qu’elle n’ait réellement eu le temps d’éclore. 

Bien entendu, avec une telle prémisse, et cette indifférence, il ne peut qu'y avoir des critiques du système, entre autres sur le fait que certains se cachent derrière ces lois ou sous d'autres: 

Cela fait bien trop longtemps que j’accuse les autres de ma propre nullité, dont ils ne sont en aucun cas responsables. 
Trop tard pour que j’y change quoi que ce soit.

Je n’éprouve que rarement des doutes ou des regrets consécutifs à mes actes: d’ordinaire mon travail m’épargne l’obligation de choisir; sans choix, pas de regrets. Heureux celui pour qui d’autres prennent la peine de choisir: il n’a rien à confesser.

il est un homme d’État, et l’État fera les choses à sa place: des bourreaux payés par le contribuable, la guillotine mille fois ralentie de la justice désargentée.

Aussi, j'ai aimé qu'on ressente la colère du personnage, et qu'on puisse comprendre d'où elle venait, et que cela amène sa vision des choses sur l'immigration, la vieillesse, ces causes de la surpopulation.

Ça donne la nausée, mais c’est fait pour. L’Europe n’a pas besoin de personnes âgées: il faut les soutenir, les soigner, les nourrir. Elles ne produisent rien à part de la merde et des décorations de sapin; en revanche, elles consomment de l’eau, de l’air et prennent de la place. Ce n’est pas une question de profit, les rations de chacun ne font qu’assurer sa survie. L’Europe est déjà à plein régime, nul besoin de monter en puissance davantage.
Mais vieillir et mourir est un droit constitutionnel, tout aussi inaliénable que celui de rester éternellement jeune. Tout ce que nous sommes capables de faire, c’est convaincre les gens de ne pas vieillir. Et on s’y emploie comme on peut.
Ceux qui choisissent de se multiplier préfèrent rester des animaux, ça les regarde. L’évolution va de l’avant et ceux qui ne s’adaptent pas crèvent. Quant à ceux qui ne veulent pas s’adapter, l’évolution, elle, ne va pas les attendre non plus.

Les immigrés nous volent notre air et notre eau. Nous, nous refusons de perpétuer l’espèce… et pourquoi? La place de nos enfants nous nés est prise par des assistés crasseux, qui propagent des infections que l’Europe a vaincues il y a trois siècles… Ils se font soigner à nos frais et, d’une manière ou d’autre autre, sont vaccinés contre la mort. Ils veulent nous parasiter pour toujours, et si nous ne mettons pas un terme à tout ça très rapidemetn, immédiatement, l’Europe peut s’effondrer.
Et bien entendu, pour que de tels impacts puissent être acceptés, il fallait évacuer Dieu: 
Les hommes avaient renoncé aux cieux, mais pas pour longtemps. Dieu n’avait pas eu le temps de se retourner qu’on l’avait d’abord envahi, puis tout bonnement expulsé. Désormais, c’est toute l’Europe qui est hérissée de tours de Babel; mais aujourd’hui ce n’est pas une question d’orgueil, seulement d’espace vital.
Quant au goût de la compétition avec Dieu, voilà des lustres qu’il est perdu.
Le temps où Il était unique est passé; désormais, Il est un parmi cent vingt milliards. Et ça, c’est dans le cas où Il est recensé en Europe, car il faut compter également la Panamérique, l’Indochine, le Japon et ses colonies, les territoires latinos et enfin l’Afrique. Au total, un peu moins d’un trillion de Terriens. Nous sommes à l’étroit. Nous n’avons nulle part où installer nos usines et nos complexes agricoles, nos bureaux et nos arènes, nos établissements de bains et nos similisions de nature. Nous sommes trop nombreux et nous Lui avons demandé de déménager, voilà tout. Nous avons bien plus besoin des cieux que Lui. 
Mais malgré qu'on l'ait déménagé, cela n'empêche pas d'avoir des réflexions sur la religion, sur l'immortalité en parallèle avec le véritable sentiment de vie. Bref, c'est un livre où il y a des réflexions et critiques qui servent le récit, le caractère des personnages, et ces réflexions sur l'immortalité s'entrecroisent avec celles sur l'évolution, le vieillissement, les raisons d'être des humains, l'impact de cette immortalité, sans que cela m'ait paru redondant puisqu'elles sont bien disséminées à travers le récit et apportent chacune une parcelle d'idées. 
Et pourquoi est-ce qu’à la place des vitamines ils s’enfilent des antidépresseurs, hein? Parce qu’ils sont heureux? 
— Et qu’est-ce que Dieu commande?
— L’homme ne peut pas vivre sans sens et sans but! Il en a besoin. Et eux, qu’est-ce qu’ils sont allés inventer? Les pilules du destin. Illuminat. Ils ont tiré une saloperie des champignons hallucinogènes, et voilà! Tu prends ça, ça te verrouille les récepteurs cérébraux, et soudain tout prend un sens, plus rien n’est le fruit du hasard. Le problème, c’est que les gens s’y habituent. Au sens de la vie. Alors il faut une nouvelle dose. Voilà où il est, le bizness! Dans les labos pharmaceutiques! 
— Eh ouais! hurlé-je. Tu reconnais toi-même qu’il suffit de prendre un cachetons! Et voilà l’affaire: l’illumination, le sens, la paix! Tout est dans la chimie! Tes récepteurs, tu les satures soit à coups d’hormones, soit à coups de cachetons, quelle différence? 
— La différence, c’est que les fainéants sont favorisés. Qu’on nous transforme en bétail paresseux. Qu’on nous gave de nourriture à bestiaux. Que dis-je, nourriture? Du liquide nutritif. Comme ces bisons. (Il hoche la tête en direction de la grande salle.) L’âme a besoin d’effort. Et La foi est cet effort. On doit travailler sur soi en permanence. C’est un exercice. Pour ne pas devenir du bétail, un morceau de viande.
Je ne suis pas un surhomme. Je suis un être humain de chair et de sang. Vivant. Suis-je autorisé à avoir des faiblesses? 
C’est l’ordre naturel des choses: les gens ordinaires ne sont faits que pour jouir. Jouir du monde, jouir de mets délicats, jouir les uns des autres. Quoi d’autre? Être heureux. Quant aux gens comme moi, ils sont faits pour protéger ce bonheur.
— Tu penses être fort? Tu penses que seuls les mortes ont besoin de Dieu? Pourtant, ce sont les immortels qui en ont le plus besoin!

— C’est ça! C’est la vie! La vie, tu comprends? Ce n’est pas un état végétatif. Il vaut mieux oser et se brûler, au moins on sent quelque chose!

La société ne peut pas attendre le vieillissement naturel de celui qui a fit le mauvais choix; en outre, si l’on se contentait simplement de le priver de son immortalité, celui-ci aurait le temps, en quelques décennies, d’engendrer tellement de bâtards que tout notre travail ne servirait à rien. C’est pour cette raison qu’au lieu d’injecter un simple antiviral nous lui préférons un autre virus: l’accélérateur.

Ce qui est vivant doit mourir. Nous ne sommes pas des dieux. Nous ne pouvons pas le devenir. Nous sommes dans une impasse. Nous ne pouvons rien changer parce que nous sommes incapables de changer nous-mêmes. L’évolution s’est arrêtée avec nous. La mort apportait le renouveau, la remise à zéro. Nous l’avons interdite. 

Bien entendu, certains pourraient être freinés par le côté antipathique du personnage principal, mais ça ne m'a aucunement gêné car j'aime voir tous les tenants et aboutissants pour comprendre d'où pouvait venir de telles pensées, et avec des retours dans le passé, on comprend comment il a pu développer une telle hargne et un tel respect des valeurs qu'il véhicule. 

Puisque, même si j'ai bien apprécié, ce n'est pas parfait, je vais vous parler des défauts dont je me souviens. Je me rappelle que la ponctuation dans les dialogues, surtout des points d'exclamation à profusion, me freinait, mais j'ignore si c'était un rythme russe, et à la longue je m'y suis habituée. 

Aussi, même si j'ai senti un petit essoufflement dans ma lecture, celui-ci a été de courte durée, et je dirais que pour un récit de près de 1000 pages en poche, je me serais attendu à sentir davantage de creux, ce qui n'a pas été le cas, et qui, avec toute cette critique qui sert le récit, j'ai apprécié ma lecture. Faites vous-en  votre propre idée si vous le souhaitez! 

D'autres citations
Les règles écartent toute responsabilité, dis-je d’un ton neutre. 
Les épreuves ne s’arrêtent pas avec la sortie de l’internat, Jan. Elles ne s’arrêtent jamais. Il ne faut pas les redouter. Les épreuves nous rendent plus forts. Je n’ai fait que t’entraîner. 
Bien sûr, , j’ai décrété que tu n’en avais rien à secouer de moi. Que tu t’étais débarrassée de moi et que tu t’étais fait une joie de m’oublier. C’Était plus facile à croire, le plus doux et le plus douloureux. Quand tu es petit, il est plus facile de souffrir d’une absence d’amour que de l’absence d’une personne qui t’aime. 
Imaginer avec son intelligence — cette braise qui refroidit, cette étincelle qui s’échappe d’un feu —, et assembler de ses mains — douces, fragiles, malhabiles, faites de viande pourrissante — quelque chose qui va tourner se ce n’est pour l’éternité, du moins pendant vingt-six mille ans! 
— Écoute-moi bien! Je m’en fous de toit et de ton singe, compris? Tu as enfreint la Loi! C’est tout ce que je sais et je ne veux rien savoir d’autre! Si tu ne pouvais pas te retenir, il fallait bouffer les pilules! Qu’est-ce qui te manquait, hein? Quoi? Qu’est-ce que t’avais à faire d’un gamin? Tu es jeune. Pour toujours! En bonne santé. À jamais. Bosse! Sors-toi de cette merde! Vis une une vie normale! Le monde entier est à tes piedds. Tous les bonshommes sont à toi! À quoi bon ce petit singe?
— Ne dites pas ça! Ne dites pas ça!
— Et si tu ne veux pas vivre comme un humain, vis comme le bétail! Mais le bétail vieillit! Le bétail crève! 
Quelque part au-dessus des planètes paralysées se trouve le théâtre de marionnettes: sur le balcon inférieur, la Mort armée de sa faux accueille de petits personnages colorés, sur le balcon supérieur, la figurine de Jésus regarde les silhouettes de ses apôtres. 
Les gens vont se bouffer entre eux. Tu penses que ça intéresse quelqu’un de connaître le déficit énergétique de l’Europe, ou combien de bouches supplémentaires pourront sustenter les fermes de sauterelles? Ce serait intéressant de savoir quel prix devra atteindre un paquet d’algues pour que les gens commencent à se révolter. Au début du XXIe siècle, la population de cette planète comptait sept milliards d’individus, et vers la fin quarante milliards. Par la suite, elle a doublé tous les trente ans jusqu’à ce que le prix d’une vie soit une autre vie. Diminue ce prix d’un iota et c’est terminé. Si la population augmente d’un tiers… c’est la crise, la famine, la guerre civile. Mais les gens refusent de comprendre tout ça, ils se fichent bien de l’économie, de l’écologie, ils sont trop paresseux pour penser et surtout trop effrayés de le faire. Tout ce qu’ils veuilles, c’est bouffer et baiser tout leur saoul. Tout ce qu’on peut faire, c’est les effrayer.
—C’est bien ce que je dis, il ne faut pas prendre tout ça trop au sérieux! La jeunesse éternelle, la surpopulation, toute cette poudre aux yeux. Tu sais, un système ne tient que tant que tout le monde y croit. Ce qu’ils redoutent le plus, c’est que les gens se mettent à réfléchir.  
Qui a prétendu que la vérité était facile à dire? Voilà déjà un mensonge.
Le mensonge présente un seul inconvénient: il exige une excellente mémoire. Mentir, c’est comme construire un château de cartes: chaque nouvelle carte doit être posée avec plus de précaution que la précédente, et ce sans jamais quitter des yeux la construction instable sur laquelle on compte s’appuyer. Oubliez le moindre détail des mensonges précédents et tout s’effondre. Le mensonge a ceci de particulier: une seule carte ne suffit jamais.

 Parce que je participais à quelques challenges


Défi-lecture
Multi-défis
Raconte-moi l'Asie
12 thèmes
 



2 commentaires:

  1. Ohlala, 1000 avec un tel sujet et un personnage principal antipathique? Je crois que je vais passer mon tour!

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    Réponses
    1. ah non :(
      y'a quand même un bon fond sous-jacent qui rend le personnage intéressant!

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Une petite trace de votre passage me fera chaud au coeur :)

Note de décembre 2018: comme on m'a signalé des problèmes, si vous n'avez pas de confirmation de type " votre commentaire a été publié ", n'hésitez pas à me contacter via mes différents profils, j'aime les échanges. Et je n'ai malheureusement pas eu de réponse pour régler le problème sur le forum.

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